La France se fourvoie dangereusement dans sa chasse compulsive au voile, au burkini, au qamis et autres variantes, les expurgeant de tous les espaces publics et visuels, piscines, plages, panneaux publicitaires, pictos, tribunes, quitte à y laisser les principes fondamentaux qui protègent la République et l’ensemble des citoyen-nes.
Cette boite de pandore enragée va rattraper chacun-e de vous : Eh oh, je vous signale qu’on vient de voir entrer 89 fashos à l’Assemblée sous la bannière d’un parti d’extrême-droite qui se présente, de plus en plus en force, à chaque présidentielle !
On avait dit : Liberté, égalité, fraternité. La seule limite objective à la liberté individuelle, c’est de ne pas faire obstacle à la liberté d’autrui ou de ne pas provoquer de haine à l’encontre de catégories de personnes, d’où par exemple une (très légère) restriction de la liberté d’expression.
Du strict point de vue des libertés, les femmes qui portent un burkini dans le même espace public qu’autrui ne contraignent personne à en porter. Ni la liberté, ni l’égalité, ni la fraternité n’en souffre, au contraire. En revanche, l’interdiction du port du burkini (qui ne couvre pas le visage, donc qui n’est soumis à aucune autre forme d’interdiction) contrevient bien aux principes de liberté et d’égalité d’accès à un service public financé par chacun-e à hauteur de ses moyens pour y avoir droit.
Le burkini véhiculerait une idéologie sexiste ? Tu m’étonnes ! Presque tous les vêtements le font, et personne ne réclame que l’on chasse de l’espace public les femmes en jupes, en talons aiguilles, avec des fausses poches ou aux jambes épilées, de crainte que leur simple présence ne fasse l’apologie d’idéologies inégalitaires. Pour quelle freak totalitaire passerai-je à vos yeux si j’exigeais que les femmes adultes s’étant ostensiblement retiré leurs poils, s’étant bourré les lèvres d’acide ou les seins de silicone, disparaissent de ma vue, car le spectacle de cette propagande me choque ? Bonjour la sororité et la prise en compte intégrale et bienveillante de l’humain à qui j’ai affaire.
Le burkini serait incompatible avec les valeurs de la République ? C’est faux : la République considère tous les systèmes de valeur (cultures, religions, convictions politiques) comme des opinions, sauf si elles font référence à des idéologie légalement réprouvées. Sinon, si l’idéologie de référence est légale, si ces opinions ne se transforment pas en actions contraignantes vis-à-vis de celleux qui n’ont rien demandé, elles sont autorisées. C’est ce qui peut assurer la coexistence de millions de personnes aux croyances multiples et parfois radicales, allant de l’orthodoxe au communiste, et c’est ce qui, appliquée aux religions, s’appelle la laïcité. Le devoir de neutralité religieuse ne s’applique en l’occurrence qu’aux élu-es et aux fonctionnaires. Madame tout le monde, avec son voile, peut chanter dans The Voice, tenir un bureau de vote, représenter son syndicat étudiant à l’Assemblée ou assister à un Conseil Régional, sans que personne ne soit autorisé à venir lui chercher noise.
La Loi de la République doit passer avant celle de la foi ? Certes, sauf qu’il ne s’agit pas des mêmes lois ni des mêmes tribunaux. Les croyant-es croient par principe en la supériorité de ce qui se passe dans l’au-delà, les citoyen-nes sont assujetti-es aux lois du pays de résisdence, qu’iels peuvent d’ailleurs contester et faire évoluer, tant ces lois ont été pensées et bâties dans l’exclusion et l’injustice. Les féministes en savent quelque chose.
En vérité, cette chasse au voile dans laquelle la France s’aventure, prend inexorablement la forme légalisée d’une censure d’opinions pourtant légales. Pire, ceux qui nous entrainent là-dedans profitent du fait que le burkini dérange, provoque un malaise, pour rallier l’opinion publique à cet acte de censure. Se faisant, on infuse chez les citoyen-nes l’idée que ce qui dérange ne peut plus être supporté. Mais ce n’est pas parce que le burkini me dérange que je suis dérangée par le burkini. Celle qui le porte n’y est pour rien, si moi, il me dérange. De même, je conçois que mes opinions féministes affichées sur mes RS ou sur moi-même, mon corps à poils, mon no bra, dérangent, comme il m’arrive d’être dérangée par des tatouages, des tirades, des modes vestimentaires comme ce petit tortionnaire inter-fessier qu’on appelle le string, j’ai même le droit de l’exprimer ou de le développer, sans être tentée de m’armer d’une loi censeure pour contenter mon dérangement. Et tant mieux pour mon cerveau et son niveau de tolérance, dans tous les sens du terme. Il n’est d’ailleurs quasiment pas de comportement qui ne dérange personne, surtout s’il est issu de l’immigration.
Depuis que Zemmour est devenu un homme politique d’envergure, on nous explique que ce genre de censure doit légitimement s’abattre sur nous au nom de ce qu’est ou se serait pas la France. C’est d’ailleurs à ce titre que le bonhomme m’a demandé un jour, en plateau, de changer de prénom. Si chacun-e décide dans son coin que SA France est bien LA France, au regard de références culturelles de classes et de milieux inextricables, on n’est pas sorties de l’auberge. Or la France mérite mieux qu’une définition essentialisée qui veut la rendre « éternelle » à ses dépends, puisque rien dans la nature n’est éternel ni immobile, sinon il ne survit pas. Même les montagnes bougent, et la France n’a cessé d’être en perpétuel mouvement, se renouvelant, se recréant, dans sa langue, sa production artistique sous forme de vastes mouvements esthétiques passant du baroque au surréalisme, ses régimes politiques, ce qui a plus ou moins dessiné des strates dans son Histoire sans jamais la dénaturer totalement malgré tout ce qui la traverse et la recompose, même les vagues d’immigration italienne, espagnole ou maghrébine.
Et oui, nous, les enfants du Maroc et d’ailleurs, nous l’avons enrichi et sommes intervenu en elle, pas seulement parce qu’on est des BG et qu’on rayonne aux yeux de tou-tes par notre humour, nos plats et notre bonne humeur indécrottable, mais aussi parce qu’on s’agite, on se rebelle, on réinvente, on résiste, et ça donne de l’art hybride franco-arabe, ça donne des expressions, ça donne un art de vivre bi-culturel qui a son charme et sa puissance.
Figer la France dans une identité largement fantasmée, c’est vouloir la protéger de tout changement, c’est craindre pour sa fragilité et in fine, ne pas croire en elle.
On ne va pas se mentir. Tous ces arguments ont évidemment en commun de pointer continuellement du doigt les mœurs ou les croyances des musulman-es vivant en France. Celles et ceux qui pensent pouvoir mieux supporter leur condition d’opprimé-e en tapant sur ceux qui sont déjà jeté-es en pâtures du matin au soir, seront les prochaines victimes d’un pouvoir de plus en répressif et autoritaire. Aujourd’hui, ce sont les musulman-es, puis la NUPES qui s’est retrouvée hors des clous du supportable républicain, et demain ça sera chacune de vos opinions « dérangeantes ».
Cette chasse au burkini n’est que la conséquence inévitable de la loi islamophobe de 2004 et des suivantes que vous avez soutenues à l’époque. Il n’y a pas plus d’islamophobie dans la chasse au burkini sur la plage que dans l’interdiction du foulard à l’école. Les motivations laïcardes et républicaines sont les mêmes et tout aussi bidons. Je pourrais exhumer quantité de vidéos du net notamment celle de votre débat avec éric fassin où vos propos contre le foulard islamique étaient sans ambivalence. Et vos positions ne se résumaient pas à une banale critique de la religion mais bien à un soutien au recul des droits civiques des musulmanes.
J’ignore si vous publierez mon commentaire, mais ce soudain revirement ressemble davantage à de l’opportunisme au service d’autres causes farfelues style queer et trans qu’à une lutte sincère contre la persécution des musulmanes.